Election présidentielle en Tunisie : Kaïs Saïed, ou le nouveau paradigme tunisien
Les Tunisiens ont élu le constitutionnaliste Kaïs Saïed, qui professe un conservatisme socioreligieux, une révolution décentralisatrice et un souverainisme diplomatique.
Par Frédéric Bobin , Mohamed Haddad et Lilia Blaise Publié hier à 21h18, mis à jour à 11h14
C’est un local modeste et sans décorum : tables en plastique et murs nus. Les fenêtres du trois-pièces donnent sur la station de tramway de la rue Ibn-Khaldoun au cœur de Tunis, non loin de la fameuse avenue Bourguiba.
Austérité sobre : le quartier général de Kaïs Saïed est à l’image du nouveau président de la République tunisienne, élu à la magistrature suprême dimanche 13 octobre, selon les instituts de sondage Sigma et Emrhod qui le créditent respectivement de 76,9 % et 72,5 % des suffrages exprimés.
Seul caprice graphique dans ce QG : l’affiche ornant le bureau de Kaïs Saïed où figure une Tunisie coiffée de la balance de Thémis, symbole de l’équité. Tout Kaïs Saïed est là : la passion du droit au service d’une Tunisie à reconstruire. Le nouveau président, juriste constitutionnaliste à la silhouette ascétique et empruntée, appelle cela « une révolution légale ».
Plus de huit ans après la chute de la dictature de Zine El-Abidine Ben Ali, la Tunisie semble connaître une réplique sismique du Printemps tunisien avec l’irruption de Kaïs Saïed, 61 ans, à la tête de l’État. Sa vision du monde, dans laquelle un conservatisme moral et religieux teinté de souverainisme cohabite avec un projet de démocratie directe renversant la pyramide de l’État, aura séduit une majorité de Tunisiens impatients de sanctionner un establishment politique ayant trahi à leurs yeux les espérances du soulèvement de 2011. Kaïs Saïed, c’est un peu le boomerang de la révolution.
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Dépourvu de toute structure partisane
Cet événement électoral de première importance ne manque pas d’interroger. On peut y voir une anomalie, un paradoxe même, tant le vainqueur de ce second tour de l’élection présidentielle, devançant de près de 50 points son concurrent Nabil Karoui, le magnat de la télévision, aura cassé les codes du combat électoral.
Dépourvu de toute structure partisane – il refuse la logique des partis – et adepte d’une campagne a minima, allant jusqu’à récuser le financement public qui lui était dû, Kaïs Saïed aura infligé un cruel démenti aux professionnels du marketing politique s’activant autour de la « transition démocratique tunisienne ».
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